Diallo
Diallo, jeune femme de l’ethnie Peule, née en Guinée Conakry, avait quelques atouts en main, mais cela ne suffisait pas pour lutter contre le poids des traditions. Fille d’un commerçant relativement aisé de Conakry, elle avait pu suivre des études, à l’école coranique tout d’abord puis dans une école privée jusqu’au bac, et avait obtenue un diplôme de maîtrise appliquée à la gestion. Elle était alors soutenue, moralement et financièrement, par son père, son seul confident.
C’était le côté « bonnes cartes », mais le soutien de son père n’est pas suffisant pour s’opposer à la « famille », une grande fratrie de 17 enfants où les garçons bénéficient naturellement d’une grande liberté mais où les filles subissent la loi des gardiennes de la tradition, des grand-mères, tantes, épouses diverses.
Diallo avait été excisée à 8 ans par ses tantes et sa mère, mariée de force à 17 ans avec un fils de la sœur aînée de son père, lequel n’a pas son mot à dire dans ces histoires de femmes. Elle donne naissance peu de temps après à une fille mais ne peut exercer aucun véritable rôle de mère, tenu par ses tantes et sa grand-mère. Cette grand-mère décide de l’excision de la petite fille, âgée de 6 ans, sans même en informer Diallo.
Diallo tente alors de se révolter avec le peu de moyens dont elle dispose. Elle quitte son travail et se consacre avec l’association « Oser Innover » à l’information et le soutien des femmes victimes de toutes sortes de violence. Face à ces initiatives, son mari, qui l’accuse de saper son autorité et les lois de la tradition, redouble de violence. Toute discussion avec lui est inutile, et toute plainte auprès de la police génératrice de nouveaux coups.
Pendant cette période, Diallo donne naissance à deux autres enfants, un garçon et une fille, et c’est quand sa famille décide de faire exciser cette deuxième fille, âgée de 5 ans, que Diallo, qui a elle-même subi cette mutilation et ses conséquences, se révolte vraiment et décide de rompre tout lien avec sa famille.
Grâce à l’appui financier d’un oncle installé aux Etats-Unis, elle déménage avec ses trois enfants chez une cousine, à Boké, une ville sur la côte au nord de Conakry. Menacée par sa famille, en août 2019, Diallo doit s’enfuir avec un passeur vers la Guinée Bissau, à moto sur les pistes détrempées par la mousson, ne pouvant serrer dans ses bras que la plus jeune de ses filles. Elle restera 3 mois en Guinée Bissau, chez un ami de son oncle, le temps de préparer le grand voyage pour la France. Toujours aidée financièrement par son oncle des Etats-Unis, elle peut se faire établir des faux papiers, prendre un avion avec sa fille et se retrouve un beau jour d’octobre 2019 sur un trottoir, devant l’aéroport de Roissy, sa petite fille à la main, sans aucun contact, avec peu d’argent, mais quand même un atout précieux : elle parle parfaitement français, ce qui lui permet, après quelques conseils glanés devant l’aéroport, après s’être rapidement initiée à la notion d’adresse et au nom de rues, une pratique largement inconnue à Conakry, de prendre le métro toute seule et se retrouver devant un foyer d’Emmaüs où il faut toute la bienveillance du gardien de nuit pour l’autoriser à y passer une première nuit.
Vont suivre alors de longs mois de galère, passant de foyers en abris provisoires, des jours à dormir au chaud dans les bus, dans les métros, des menaces d’expulsion vers le Portugal puisqu’elle est arrivée sans le savoir avec de faux papiers portugais, l’ancienne puissance coloniale de la Guinée Bissau.
Aidées par les uns, chassées par les autres, Diallo et sa fille finissent, le 16 janvier 2020 précisément, à obtenir une chambre au Huda (Hébergement d’Urgence pour demandeurs d’asile) de Bourg-la-Reine.
Elle peut enfin se consacrer à la régularisation de son statut, avec l’aide de l’Ofpra, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides. Heureusement, pourrait-on dire, le confinement alors en vigueur entraîne un ralentissement général de toute démarche administrative et Diallo peut même consacrer un peu de temps libre à traîner dans quelques gares parisiennes pour aider bénévolement ses semblables, les migrants venant d’arriver, reconnaissables à leurs yeux un peu perdus. Par hasard, Diallo retrouve alors une de ses nombreuses sœurs, qu’elle ne connaissait pas, et qui vivait en France depuis 15 ans. Si elle ne peut loger chez cette sœur pour des raisons pratiques, cette rencontre imprévue lui permet au moins de faire état d’une famille en France et, quelques mois et démarches supplémentaires après, en octobre 2020, elle obtient enfin, ainsi que sa fille, la protection internationale avec une autorisation de séjour de 10 ans.
L’avenir s’éclaircit enfin. Sa fille a commencé une scolarité normale, la mairie lui a trouvé un logement grâce à l’association Caritas, elle peut se nourrir grâce aux restos du cœur et accompagnée par l’ADS qui l’encourage à se diriger vers le métier dont elle a toujours rêvé, trouve une formation « technicien et systèmes » correspondant à son expérience précédente.
Un nouvel obstacle, jusqu’alors peu sensible, se manifeste pourtant. Diallo se sent un peu mise à l’écart par ses professeurs, parfois par les autres étudiants. « On » lui fait sentir que sa couleur de peau, son foulard de musulmane, pourtant discret, et même son niveau de français, qu’elle parle depuis plus d’une vingtaine d’années, que tous ces éléments la destine plutôt à une carrière de technicienne de surface, de femme de ménage, plutôt que de technicienne de télécom …
Diallo ne baissera pas les bras, elle signera son CDI de technicienne télécoms en juin 2022. Elle n’a pas fini de se battre… pour se loger dignement et accueillir enfin ses deux autres enfants qu’elle sait en souffrance.
Mai 2022
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