Et le droit à l’épanouissement ?
Une douzaine de résidents du Foyer des Jeunes Travailleurs de Bourg-la-Reine, autant de filles que de garçons, ont accepté l’invitation de l’ADS à venir débattre des droits de l’homme et des discriminations dans la perspective du forum des droits qui se tiendra en fin d’année. Ce débat a répondu à notre attente, plein de passion, de virulence et de spontanéité.
Loin des généreuses déclarations philosophiques ou morales qui ont présidé à la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, reprises par la déclaration universelle des droits de l’homme signée en 1948 par tous les états membres de l’ONU, les jeunes résidents du Foyer des Jeunes Travailleurs, plus pragmatiques, invités à citer les droits de l’homme essentiels, ont immédiatement dressé la liste de préoccupations plus contemporaines, les droits « sociaux et économiques » que sont le logement, le travail, l’éducation, la santé, la justice ou la sécurité… L’application de ces droits est accompagnée, pour la plupart des jeunes présents, d’un soupçon de discrimination diffus. Pour ces jeunes, il ne s’agit pas seulement de garantir ces droits : avant même de les faire appliquer, il s’agit surtout de pouvoir y accéder et accéder aux soins, à la justice, à l’éducation, à la formation, au logement, et même à la sécurité n’est pas évident pour tous.
La difficulté d’accès au travail, à un premier emploi, a par exemple permis de passionnants échanges entre les jeunes. Tout en reconnaissant qu’un patron est libre de choisir son futur salarié, toute sélection, tout entretien d’embauche sans succès fait naître l’idée d’une discrimination. La jeunesse, le sexe, le milieu social, la couleur de la peau sont immédiatement autant d’explications possibles à l’échec d’une démarche.
Pour ces jeunes, l’idée qu’il n’y a pas réellement d’égalité de chances face à l’application des droits supposés être protégés par la loi semble une évidence, presque une fatalité. Ils étaient plusieurs à s’accorder sur le fait que « quand tu es renoi, et que tu te présentes pour un emploi en restauration, direct à la plonge. On ne cherche même pas à savoir ce que tu sais faire ». Et même de citer une enseigne où : « les renois garçons à la friteuse, les filles aux sandwichs et les filles blanches à la caisse ».
Une jeune fille venant des Iles a aussi voulu témoigner sur la discrimination subie pour l’accès au logement. Son dossier avait été accepté, mais quand un mois plus tard, elle a rencontré la propriétaire, celle-ci lui a aussitôt dit qu’il y avait une erreur, et qu’elle n’était pas retenue. Comment interpréter ce revirement autrement que par de la discrimination due à la couleur de sa peau ? La jeune fille a porté plainte, et même si elle sait que ça ne changera rien pour elle, elle y tient pour que les propriétaires le sachent et ne répètent pas leur attitude discriminatoire.
Très rapidement le débat s’est orienté sur le thème de l’égalité femme/homme, champ privilégié de la discrimination. Pour beaucoup, cela commence dès la formation, au cours de laquelle un véritable choix ne serait pas offert, en particulier aux femmes. L’idée qu’il puisse exister des métiers plus masculins ou féminins, largement compréhensible pour les garçons, est manifestement choquant pour les filles qui se verraient bien mettre au féminin tous les noms de métiers, même les plus pénibles. Mettre au masculin tous les métiers supposés féminins semble moins attractif pour les garçons.
Si les lois elles-mêmes sont reconnues égales pour les hommes et les femmes, leur application serait sensiblement différente, sans qu’on puisse vraiment dire quel sexe bénéficierait de cette différence ou de la meilleure protection. En ce qui concerne l’accès à la justice ou la protection de la police, par exemple, l’idée que les femmes soient mieux protégées que les hommes a été globalement avancée, aussi bien par les garçons que par les filles, pour la simple raison, étonnante, que les hommes, ou les garçons, auraient plus de moyens physiques pour régler seuls leurs problèmes, sans avoir besoin de recourir à une protection juridique. Mais en parlant de justice, l’un a quand même lâché « Les étrangers sont plus pénalisés que les autres. Dès qu’ils commettent quelque chose, on leur retire le droit de séjour. Ce sont les mêmes lois pour tous, mais elles ne sont pas appliquées de la même façon pour tous ».
Dans la liste des droits de l’homme les plus essentiels que nous avions évoqué au début de cette rencontre, une jeune fille handicapée a proposé un « droit à l’épanouissement », regrettant de n’avoir pas eu droit à « l’épanouissement » professionnel qu’elle souhaitait, tout en comprenant que ses formateurs l’aient dissuadée de suivre une formation qui, selon eux, ne correspondait pas à ses possibilités physiques.
S’agissait-il d’une discrimination ? d’une protection ? N’était-elle pas seule à pouvoir mesurer sa vocation et ses possibilités à exercer ce métier ? Il n’existe malheureusement pas de « droit à l’épanouissement » ou de « droit au bonheur » dans la loi française, comme c’est le cas dans diverses constitutions, dont la constitution américaine, qui, dans un texte inspiré de Thomas Jefferson, énonce en d’autres termes que tous les êtres humains sont créés égaux, dotés de droits inaliénables, dont le droit à la recherche du bonheur.
Ce droit, malheureusement rarement appliqué dans la réalité, devrait pourtant servir de boussole dans toute interprétation des « droits de l’homme ».
Mai 2022
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